vendredi 27 juillet 2012

En course Québec St Malo


Publié le 05 août 2012 à 14h30

À bon port

Tenue pour la première fois en 1984, à l'occasion du 450e anniversaire du premier voyage de Jacques Cartier, la Transat Québec-Saint-Malo est la plus ancienne course transatlantique sans escale en équipage à être disputée d'ouest en est.


L'équipage du EDF Énergies nouvelles et le journaliste Simon Boivin (à droite)
Le Soleil, Simon Boivin






(Saint-Malo) Alors voilà. Une traversée de l'océan Atlantique, une.
En plein coeur de la nuit, dimanche, à 3h45, l'EDF Énergies nouvelles a franchi la ligne d'arrivée dans le port de Saint-Malo. Après quelques sueurs froides. Deuxième chez les «vintages», 15e au total. Plus de 13 jours en mer.
Il est tout à fait vrai que les vagues continuent de nous faire tanguer bien après être débarqués du bateau. L'impression que le sol bouge sous ses pieds prend un certain temps à se dissiper. Même le lendemain, vos jambes obéissent par moments à des commandes qui ne viennent pas de vous.
Fou à quel point, à terre, répondre à des rages qui vous rongent en mer pendant des jours est d'une banalité déconcertante. Moins de deux heures après notre arrivée, une bière était bue, une douche chaude prise et un repas frais englouti. On y a pensé tellement souvent pendant si longtemps. Affaire classée. Reste plus qu'à trouver une crème glacée pour l'équipier Jeffrey Macfarlane.
La copine de notre skipper a déniché un petit appartement tout près du port, face à la mer, juste à côté de la plage. Juste parfait. Après autant de jours à se marcher sur les pieds, on aurait pu s'attendre à ce que chaque équipier profite de son retour sur le plancher des vaches pour prendre un peu d'air. Mais non. On a passé le premier après-midi sur nos ordinateurs à répondre à des courriels et à s'échanger films et photos, dans une cuisine pas plus grande en pieds carrés que la cabine du bateau.
Sur les quais, les skippers s'échangent les anecdotes du périple. Certaines énigmes de la course se résolvent. Dans les écluses et à la marina, au passage des bateaux de la Transat, des gens applaudissent. Un village de la Transat a été érigé sur les quais. Certains coureurs sont encore en mer.
Des inquiétudes en mer? Parfois. Au début, lorsque les bruits du bateau ne nous sont pas familiers. Le vacarme de la course est incessant et assourdissant dans la cabine. Puis, à mesure que la confiance se prend dans la solidité du voilier, ce sont dans les yeux du skipper que naissent certaines de nos insécurités. Quand lui semble inquiet, vous n'avez aucune raison de ne pas l'être. Comme avant de contourner la bouée de Gaspé, quand le vent a lâché et qu'on ne savait trop si les vagues nous pousseraient contre la falaise rocheuse. Ou quand une grosse dépression est née dans le sud-ouest de l'Irlande. Ou quand l'étai du mât a lâché.
Des scènes resteront gravées dans la mémoire. Ce coude à coude sur fond d'orage près de Matane avec quatre autres bateaux. Les dauphins dans l'océan. Toute la charge d'une mer qui se monte. La pleine lune.
À partir d'un certain niveau de connaissance de leur art, des marins sentent le besoin de se mesurer à d'autres en course. Ils ne voient pas l'intérêt d'une simple balade en mer. Il faut tirer le maximum des éléments à disposition pour les mettre au service de la vitesse de coque. Autrement, c'est du gaspillage.
Pas facile la course en mer. Peu de confort. Énormément de travail pour des gens qui, souvent, naviguent pendant leurs vacances. Du stress et des dépenses aussi. Il y a une aura très romanesque autour d'une transat. Mais le quotidien est parfois pénible. Il faut une passion dévorante pour s'imposer de tels efforts.
Une chance unique et une expérience extraordinaire que cette traversée de l'océan. Notre dernière? Peut-être pas. Qui sait. Mais en course? Probablement.
Merci à Nany Ferreira, la conjointe d'Augeix, pour tous les petits soins. Et merci au skipper David Augeix, au second Rémi Fermin et à l'équipier Jeffrey MacFarlane. Merci à eux trois de nous avoir sauvé la vie. Plusieurs fois par jour. Chaque jour.



Publié le 05 août 2012 à 05h00

Et si Saint-Malo n'existait pas...



Tenue pour la première fois en 1984, à l'occasion du 450e anniversaire du premier voyage de Jacques Cartier, la Transat Québec-Saint-Malo est la plus ancienne course transatlantique sans escale en équipage à être disputée d'ouest en est.

Malgré les super couchers de soleil, l'équipage de l'EDF Énergies nouvelles a hâte de terminer l'aventure.
Photo collaboration spéciale Simon Boivin

Simon Boivin
Le Soleil




Peut-être qu'au fond, tout ceci n'est qu'une vaste supercherie dont le dessein tordu nous échappe encore. Ou une expérience secrète de scientifiques de la NASA sur la résistance humaine au mauvais sort.
Trente miles nautiques. C'est tout. Au cours des 14 derniers jours, on s'en est claqué plus de 2600. Trente miles, c'est une blague. Ça prend deux, trois heures maximum. Un saut de puce.
Trente miles et c'est Saint-Malo, l'arrivée, le quai, les retrouvailles, les tapes dans le dos, les agapes. D'ici, on entend presque le son des verres qui s'entrechoquent à la santé des uns des autres. Mais ce n'est pas pour nous. Notre barque est maudite.
L'EDF Énergies nouvelles a frappé du vide. Comme dans le fleuve, peu après le départ. On a cru longtemps arriver samedi matin. Puis midi, puis soirée, puis nuit. Finalement, rien du tout, pas de vent, et même du courant dans le nez. Il y a de fortes marées dans la Manche. Peut-être une partie de la nuit à l'ancre. On s'éloigne de la côte pour quémander une brise au large.
Le skipper ne veut plus faire de pronostics. Peut-être cette nuit, aujourd'hui, Noël, allez savoir. Cette impression indélébile que les bateaux derrière rigolent en regardant nos statistiques de vitesse se liquéfier. Et d'être cet abruti de lièvre qui dort à poings fermés pendant que les tortues reprennent du terrain. Avec le résultat que l'on sait. Cela ressemble à s'aplatir à 50 mètres de l'arrivée d'un marathon. La faible distance qui nous sépare de la fin ajoute à la frustration.
Faut pas croire. On se plaît bien, tous les quatre. Des super couchers de soleil, de la rigolade et tout. Mais on compte quand même les dodos. Tout le monde a hâte que ça finisse pour vite aller raconter combien il aurait aimé que ça dure plus longtemps.
«Tu peux dire dans ton truc qu'il fait un beau soleil breton», raille notre skipper David Augeix. Ouais, les Français du sud aiment bien se moquer de la météo au nord. Là, il pleut. Un beau soleil breton.
Côte en vue
Mais il ne faudrait pas que tout ceci éclipse la vraie nouvelle du jour: on voit la côte. Française, pas de boeuf. Quand même, après 14 jours en mer, ça fait quelque chose de la voir apparaître. On pratiquait nos noeuds de chaise et de cabestan quand elle s'est montrée le bout de la Bretagne. On a croisé quelques plaisanciers, doublé quelques phares. C'est joli. Ça donne à l'oeil de quoi manger. Aussi, ça rassure un peu. S'il vous arrive un pépin majeur, les secours ne sont plus au bout du monde. Finalement, ça vous met aussi dans l'esprit que les amarres seront larguées sous peu.
On peine à croire qu'on ne sera pas à quai demain. Voire au cours de cette nuit, si un vent favorable peut se lever. En même temps, reste la possibilité théorique que, d'ici là, une baleine nous avale. Alors prudence. Ne pas trop s'avancer.
*** L'EDF Énergies Nouvelles a atteint les côtes de Saint-Malo dans la nuit de samedi à dimanche à 3h45 heure locale (21h45 samedi soir, heure de l'Est).



Publié le 04 août 2012 à 05h00

Là où le mât blesse

Tenue pour la première fois en 1984, à l'occasion du 450e anniversaire du premier voyage de Jacques Cartier, la Transat Québec-Saint-Malo est la plus ancienne course transatlantique sans escale en équipage à être disputée d'ouest en est. 



Les vagues mastodontes qui poussent et se dressent tout autour puis rentrent le cou pour faire basculer le bateau sur leur dos offrent un spectacle hypnotisant.


Photo collaboration spéciale Simon Boivin

Simon Boivin
Le Soleil




Soupir. David Augeix regarde un peu dépité son imperméable détrempé qu'il enfile pour la Xème fois au petit matin. «Et ils osent appeler ça des cirés étanches.»
On devrait toucher les côtes françaises samedi, en soirée. Mais elles ne se seront pas laissées prendre facilement.
La nuit de jeudi à vendredi n'a pas été de tout repos pour les trois marins du EDF Énergies Nouvelles qui se sont succédé à la barre. Vagues gargantuesques, pluie battante, rafales de vent à 40 noeuds. On demande à Rémi Fermin, second à bord, qui aime bien l'action en général, s'il s'est amusé. «Pas trop.» Une vague déferlante a cassé juste au-dessus de la tête de l'équipier Jeffrey Macfarlane, qui n'avait pas complètement fermé son imperméable. Trempé jusqu'aux os, dès son premier quart. Prélude à une nuit longue et froide. Tous deux ont été bousculés par des déferlantes à la barre. Et des bateaux de pêcheurs ont ajouté au stress de la navigation.
Spectacle hypnotisant que celui des vagues mastodontes qui poussent et se dressent comme des murailles tout autour, puis rentrent le cou pour faire basculer le bateau sur leur dos. À perte de vue, prenant des allures de chaînes de montagnes, elles se font et se défont dans un mouvement perpétuel au ralenti.
Ces conditions joueraient moins sur les nerfs de notre skipper si le bateau était en parfait état. Or, la perte de l'étai fragilise la stabilité du mât et la tranquillité d'esprit d'Augeix du même coup. Dès lors, le moindre nouveau bruit apparaît suspect. Le skipper connaît trop bien le risque. Un mât cassé n'a rien de très aidant. «Un nouveau mât tout gréé, c'est peut-être 20 000 euros. Mais le vrai problème, c'est comment se sortir d'ici. On n'est pas à 10 miles de la côte, et je n'ai pas envie d'abandonner le bateau en mer, moi.» Alors, même s'il préférerait mettre toute la gomme, il joue de prudence.
D'autant que, pour lui et l'EDF, cette transat restera la «traversée diabolique», comme l'a baptisée une de ses collègues. Récapitulons les écueils. Un mois avant le départ, Augeix se fracture un coude et un avant-bras en vélo de montagne. Il barre avec deux attelles. Une semaine avant la course, il frappe une bouée, ce qui entraîne des réparations importantes. En mer, on déchire le grand spinnaker et l'étai éclate. La croisière s'amuse.
Au total, les positions ne devraient pas trop changer d'ici la fin de la course. Nous sommes trop loin du premier bateau vintage, le Seven Stars, pour le rattraper. Et nous maintenons une allure suffisante pour se croire hors de portée de nos poursuivants. À moins d'imprévus, il n'y aura pas les lettres honnies «DNF» - pour Did Not Finish - à côté du nom du bateau d'Augeix.
On nous avait prévenus qu'il était possible d'avoir des hallucinations auditives en mer. Vendredi, en cours de nuit, on a clairement eu l'impression d'entendre un hélicoptère survoler le voilier. Pendant un bon moment. Même si l'on était trop loin des côtes pour que ce soit le cas. Et que l'on s'est familiarisé aux bruits du voilier. «C'est tout à fait normal, rassure Rémi Fermin. Ce doit être la fatigue.» Quand même, un peu de terre ferme semble tout indiqué.




Publié le 02 août 2012 à 05h00  
Les soirs de cassoulet

Pour faire plaisir à l'équipage, Rémi Fermin, second à bord, a fait chauffer une conserve de cassoulet dans la bouilloire au propane.
Photo collaboration spéciale Simon Boivin

Simon Boivin
Le Soleil




Une fois, parti en mer pour une expédition de 20 jours, notre skipper David Augeix n'avait apporté des vivres que pour 10 jours. Et ne s'en était aperçu qu'après cinq.
«Je buvais l'huile des boîtes de sardines», se souvient-il péniblement.
En découle une philosophie assez stricte sur son bateau: pas de gaspillage. On ne jette rien. On finit la dernière lampée de chaque bouteille d'eau et on termine son morceau de pain.
L'autre jour, on tend au skipper une boîte de thon pour qu'il la jette pour nous. «Il en reste?» qu'il nous fait, sur un ton inquisiteur. Tout à coup, pris par surprise, l'impression d'avoir cinq ans. «Non, non, j'ai tout mangé.»
Mercredi, Rémi Fermin, second à bord, nous a fait plaisir. Il a fait chauffer une conserve de cassoulet dans la bouilloire au propane. Hum. Saucisse, porc, flageolets. Bombance. Jeffrey Macfarlane, l'autre équipier, n'en a pas voulu. Trop riche pour la mer, selon lui. Jeff raffole de la bouffe lyophilisée. Ça, nous en avons une belle variété: des couscous, des pâtes, des plats à base de riz, etc.
Pour notre part, la lyophilisée, ça ne passe pas. Peut-être parce qu'on y a été initié au moment où le mal de mer prenait ses aises. Quoi qu'il en soit, après quelques tentatives, il faut se rendre à l'évidence. Même qu'on a dû en jeter. Mais dans le dos du skipper. On n'est pas fou non plus. Pas envie de finir aux fers. Alors, on préfère ne pas prendre de risque et s'en passer. Et attendre sagement les soirs de cassoulet.
Autrement, deux caisses de plastique regorgent encore de conserves de rillettes, de pâtés de campagne, de thon, de sardines. Tous des produits français qui restent du convoyage entre la France et le Québec pour la Transat. Deux autres sacs de bouffe aussi, dans lesquels ont disparu à vue d'oeil un gros morceau de jambon de Parme, de la viande des Grisons, du parmesan, des barres tendres, des noix, des fruits séchés, du gruau et quelques desserts sucrés. Plus des miches de pain brun. Très brun.
Il y avait des fruits aussi, au début, des bananes, des pommes, des oranges. Jeffrey a une allergie au gluten, alors on ne touche pas à ses rations quotidiennes de sandwichs aux galettes de riz beurre d'arachide et confiture.
Onzième jour en mer. Forcément, certains trucs commencent à nous manquer. Surtout la nourriture fraîche, genre la salade. D'avance, on peut vous certifier ce que ce sera si, comme promis, David nous amène au pub L'Univers à Saint-Malo à notre arrivée. Un steak. Épais comme ça.
Techniquement, on devrait terminer la course samedi après-midi. Nous perdons des places en raison des dommages au bateau qui nous forcent à lever le pied. Nous terminerons amochés, mais nous terminerons.
P.-S. - Nos amis français sont fascinés par nos histoires de grève étudiante et de commission d'enquête sur l'industrie de la construction. Alors, il les a déclenchées, ces élections, M. Charest?



Publié le 01 août 2012 à 05h00

Songes d'une nuit d'étai



L'équipage a passé à un cheveu de se retrouver sans mât à 1000 milles nautiques de la terre la plus près.
Photo Le Soleil, Simon Boivin

Simon Boivin
Le Soleil




David Augeix était furax, la nuit dernière, quand il a frappé du poing dans un hublot. Nous venions de passer à un cheveu de perdre le mât.
Encore une fois, tout le monde s'est précipité sur le pont en pleine nuit, vers 3h. Mais pas pour observer la lune presque pleine. Un bruit sourd suivi d'une secousse a fait craindre le pire. Avions-nous frappé quelque chose?
Non, mais les dégâts étaient néanmoins importants. Notre étai, la tige de fer fixée à l'avant du bateau qui empêche le mât de basculer vers l'arrière, pendouillait à l'eau, avec la voile qui y était hissée. Branle-bas de combat pour récupérer le tout, dans le noir, la fraîcheur de la nuit et sur une mer agitée.
Heureusement, une autre tige reliée au mât, le bas étai, était restée en place après l'utilisation d'une autre voile. C'est ce qui a permis au mât de rester debout, et d'être ensuite solidifié du mieux possible par une corde. «Sans cela, nous nous retrouvions sans mât, à 1000 milles nautiques de la terre la plus près», a constaté le skipper du EDF Énergies nouvelles après le remue-ménage.
Reste que ce bris nous empêche d'utiliser à leur plein rendement la plupart de nos voiles. Mais, plus frustrant encore pour Augeix, la pièce qui a cassé sur l'étai est exactement celle qui lui a fait le même coup lors de sa course sur la Route du Rhum, en 2010. Il a alors perdu six rangs au classement. Hier, il n'aurait pas fallu que le skipper tienne par la peau du cou celui qui lui a vendu l'émerillon défectueux en question. Il parlait même de poursuite.
Comme ça a été le cas lorsqu'on a déchiré notre grand spi, il y a trois jours, Augeix a commencé à parler d'oublier la course. «Il faut d'abord ramener les quatre bonshommes, puis le bateau en bon état», a-t-il insisté. Il a jonglé longtemps avec ce scénario.
Et, comme dans le cas du spi, l'état du classement général a revigoré notre skipper. Neuf heures après les complications, nous tenions toujours notre 10e rang au total, et étions encore premiers parmi les six bateaux vintage - plus âgés - de la course. Même si l'écart se rétrécit.
Étrangement, après l'épisode du spi éclaté, la voile que nous estimions idéale pour notre allure et sur laquelle il a fallu tirer un trait, les statistiques nous ont donné la meilleure performance de tous les bateaux sur le plan de la distance parcourue sur 24 heures.
Le skipper est maintenant convaincu. Nous protégerons le mât avec des allures, du voilage et un parcours prudents. Et souhaiterons que la mince avance que nous détenons sur nos plus proches concurrents suffira à les garder à distance jusqu'à Saint-Malo. Ce sera serré. Encore quatre jours à tenir.
Le périple nous en apprend sur la dent sucrée du skipper Augeix et son rapport au sucre. Après un coup dur, il sort des nounours en jujube, des fraises à la guimauve... Après la mésaventure de l'étai, quand chacun est retourné dans sa couchette un peu débiné, il a offert une tournée. «Tu veux un bonbon?» Bien sûr. Tiens, des bonbons menthe. Patricia Kaas a raison. Ça fait du bien quand il pleut.





Publié le 31 juillet 2012 à 05h00

Un ami bidon

Dans le bidon de survie recèle d'une multitude d'outils pour aider les secours à localiser les naufragés. Fusée d'alarme, fumigènes, téléphone Iridium, radio, GPS, etc. Un ensemble de pêche est aussi obligatoire.
Photo Le Soleil, Simon Boivin



Simon Boivin
Le Soleil




(Québec) Sur un bateau, vous courez toujours après vos trucs. Où j'ai foutu mes lunettes de soleil? Ma lampe frontale? Ma tuque? Ma fourchette? Pariez que, règle générale, vous retrouverez en premier ce que vous ne cherchiez pas sur le coup.
Il y a néanmoins une chose dont chacun doit connaître l'emplacement exact en tout temps. Même si l'équipement est constamment charrié d'un côté et de l'autre pour balancer le bateau, ce que les Français appellent «matosser». Mais est-ce vraiment un verbe?
Une chose, donc, sur laquelle on doit tous pouvoir mettre la main en un éclair : le bidon de survie. Présentement, il est sous la bannette arrière bâbord.
À mesure qu'autour de notre position radar, les bandes bleues de l'océan s'élargissent, on trouve un certain réconfort dans la présence d'options de survie plus immédiates que le 9-1-1.
Alors, on fait quoi s'il faut abandonner le navire, les femmes et les enfants d'abord? Plongeons hardiment dans cette caserne d'Ali baba qu'est le bidon de survie.
Il faut d'abord savoir qu'un radeau gonflable avec un déclencheur se trouve à l'arrière du bateau. Il contient déjà des biscuits, petits, mais très consistants, de l'eau avec des minéraux et un couteau à la pointe arrondie, pour éviter de percer le radeau.
Le bidon de survie, qu'il faut penser à emporter, recèle une multitude d'outils pour aider les secours à localiser les naufragés. Des fusées d'alarme, des fumigènes, un liquide qui rend l'eau fluorescente autour du radeau. On y trouve aussi un téléphone Iridium de secours, dans son sac étanche, une petite radio VHF et un GPS, chacun avec leur pile de rechange. Une borne pour être détecté par radar a aussi sa place dans le bidon. De même que des couvertures de survie, faites de plastique résistant très mince, emballées chacune dans un format serviette de table, et une lampe de poche à dynamo.
Le marin a l'obligation d'y mettre aussi un petit ensemble de pêche. Mais notre skipper ne cache pas qu'il craint surtout que les hameçons ne percent le radeau.
«Pour pouvoir naviguer en haute mer, il faut que la moitié de l'équipage ait suivi un cours de survie valable pour quatre ans, explique David Augeix. L'approche n'est pas la même si l'on se fait secourir par un cargo, un avion ou un hélicoptère.»
Plutôt que de se faire arroser à répétition par les embruns qui cassent sur la coque, et peiner à faire sécher leurs vêtements ensuite, l'équipage du EDF Énergies nouvelles passe de longues heures à l'intérieur de la cabine. Bien ajusté, le pilote automatique fait très bien le travail.
«Beau milieu de l'océan»
Mais quand, sur l'écran de bord, le petit point qui indique la position de notre bateau est apparu pile au centre de l'Atlantique, on n'avait guère le choix. Le Soleil devait le voir, ce fameux «beau milieu de l'océan». On voulait son milieu, il a montré son coeur.
Il sentait bon. Il sentait immensément grand. Ce n'était pas nécessaire, on en avait déjà vu, mais il a envoyé des dauphins. Représentation privée. À moins de dix pieds du voilier.
Pendant plus d'une heure, il nous a aspergés de longs baisers mouillés. En retour, on lui a chanté du Vigneault. On dirait qu'il aime bien Vigneault, l'océan.
Vers un nouveau record
Le skipper Erwan Leroux (FenêtréA Cardinal 3) pourrait fort bien fracasser un record de la Transat Québec Saint-Malo pour la traversée de l'Atlantique la plus rapide. La précédente marque date de 2008, quand l'équipe du Malouin Franck-Yves Escoffier avait parcouru la distance en 11 jours, 3 heures, et 19 minutes.
Pour se faire, Leroux devrait atteindre la destination finale avant jeudi soir (heure de France), alors que le skipper de FenêtréA Cardinal 3 est attendu à St-Malo dans la nuit de mardi à mercredi, si aucun malheur ne lui arrive. Leroux était toujours en plein contrôle de la situation, hier après-midi, lors de la dernière mise à jour du site Internet de la Transat, alors qu'il menait la course dans la Classe Open avec une avance de 520 milles nautiques sur le voilier le plus près, Vers un monde sans SIDA. Dans la Class40, Halvard Mabire (Campagne de France) était toujours premier, avec 25 milles nautiques d'avance sur Sébastien Rogues (Eole Generation - GDF SUEZ). Jorg Riechers (Mare) et Fabrice Amedeo (Geodis) suivaient à quelque 44 milles.
Notre collègue journaliste Simon Boivin et ses coéquipiers de EDF Energies Nouvelles occupaient pour leur part le 10e rang, avec un retard de 134 milles. Pour suivre la Transat sur Internet : transat.korem.com/course. Matthieu Boivin




Publié le 30 juillet 2012 à 05h00
Garçon? Pour le café, attendez un peu..

L'équipage du EDF Énergies nouvelles s'affairait à récupérer le grand spi déchiré de haut en bas qu'il faudra envoyer à l'atelier.



Simon Boivin
Le Soleil

Ouch! La catastrophe. Comment une journée qui avait si bien commencé peut-elle se gangrener de la sorte? Aussi vite.
Au petit matin, le skipper du EDF Énergies nouvelles, David Augeix, s'est délecté du dernier bulletin météo. «Avec ce temps, on est presque sûrs d'être à Saint-Malo le 4 août à 8h. On pourrait quasiment se commander des cafés au bistro du port.»
Engoncé dans son sac de couchage, le second, Rémi Fermin, regardait de loin les mêmes informations. «Super. Plus que deux empannages [changements de direction] et on arrive.» Il s'est remis les écouteurs de son iPod dans les oreilles et a plongé au pays des rêves. Cette météo annonçait du vent favorable, et très peu de manoeuvres en perspective.
Quelques heures plus tard, ce même Rémi, à la barre cette fois, hurle: «David! David!» Tous sur le pont. La corde qui hisse le spinnaker, la voile à la superficie la plus large, au haut du mât a cédé. Paf. Du coup, la précieuse voile se retrouve à l'eau. Avec le risque de passer sous le bateau, et d'être réduite en lambeaux par les safrans (gouvernails).
Tout le monde se précipite. La voile est récupérée saine et sauve. Le petit spinnaker est mis en attendant qu'une autre drisse permette de hisser à nouveau le grand. Question de ne pas perdre trop de vitesse entre-temps. Lorsque tout est revenu en place, le skipper Augeix a dû l'admettre: «Le café, ce sera peut-être plus pour 9h».
Un équipage a droit à huit voiles différentes pour la Transat. Chacune a ses particularités qui la rendent plus performante selon la force et la direction du vent du moment. Le grand spi est parfait pour ce qu'on a eu dimanche et qu'on aura aujourd'hui.
Peut-être 45 minutes plus tard, alors que tout semblait revenu à la normale, c'est au Soleil de sonner l'alarme. «Le spi est à l'eau!» Tous sur le pont, encore. Mais là, le constat est beaucoup plus grave. Il est déchiré. De haut en bas. On le remonte péniblement. Rien à faire. Faudra l'envoyer à l'atelier. On a perdu notre grand spi. Foutu. Ça fait physiquement mal. Il est à peine 8h du matin. Insérez votre juron préféré.
«On rentre à Saint-Malo. La course est terminée.» Il a dit ça, le skipper Augeix. Deux fois plutôt qu'une. «La course est terminée.»
Dur coup
De lourdes minutes de silence se sont installées une fois rapaillé le grand spi et mis à sa place le petit. On veillait le mort. Dur coup. Le premier vrai.
«C'est sûr que ça pénalise», a constaté Rémi Fermin. Pendant que les autres tirent le maximum du vent, nous sommes handicapés de deux ou trois noeuds à l'heure pendant deux jours.
Puis, l'Américain Jeffrey Macfarlane, un marin compétent et volontaire, suggère qu'on lève aussi la trinquette, la plus petite voile à bord, en plus du petit spi. «Ça peut aider un peu», note-t-il.
Le skipper s'est gratté la barbe de sept jours quelques secondes. Et jugé l'idée bonne. Deux voiles sont hissées à l'avant de l'EDF, plus la grande voile. Et, dans 48 heures, il était de toute façon prévu de passer au petit spi. Les autres voiliers ont peut-être aussi quelques pépins que nous ignorons.
Puis, Augeix a passé du temps à vérifier des trucs à gauche à droite pour «pas qu'il nous arrive d'autres conneries». Jusqu'à finalement avouer qu'il mitonne une stratégie pour grappiller quelques rangs au classement. Battre des bateaux plus performants aurait été satisfaisant. Mais, dans les circonstances, tâchons de finir en tête des six bateaux vintage de la Class40.
Non, la course n'est pas terminée. Un golfeur peut perdre son bois numéro un et faire tout de même une belle partie. Un joueur d'échec ne s'avoue pas vaincu parce que sa reine est tombée.
La course n'est pas terminée. Mais pour les cafés, garçon, vous pouvez attendre un peu?




Publié le 30 juillet 2012 à 07h53
Toujours une chaude lutte entre les voiliers



Olivier Parent
Le Soleil




Plus la Transat Québec-Saint-Malo avance, plus elle se ressemble. Le trimaran FenêtréA Cardinal dominait toujours largement la classe Open, dimanche, alors que la Class40 offrait toujours une chaude lutte au coeur de l'océan Atlantique.
Lors de la dernière mise à jour du site Internet de la Transat, dimanche, en fin d'après-midi, FenêtréA Cardinal, du skipper Erwan Leroux, profitait d'une avance de 541 milles nautiques sur son plus proche rival, l'embarcation Vers un monde sans sida, du skipper Erik Nigon. Il ne restait plus à l'équipe de Leroux que 777 milles nautiques à parcourir avant de retrouver la terre ferme à Saint-Malo, soit moins que la distance qui la séparait du voilier en queue de peloton, Océan Phénix. Celui-ci se trouvait à près de 859 milles nautiques du meneur.
Du côté de la Class40, les voiliers continuaient de se disputer une chaude lutte pour arracher la position de tête. Seuls 11 milles nautiques détachaient les meneurs (Campagne de France) de leurs adversaires en deuxième position (Eole Generation - GDF SUEZ).
L'EDF Énergies Nouvelles, à bord duquel se trouve notre journaliste Simon Boivin, occupait pour sa part la 14e place.



Publié le 29 juillet 2012 à 05h00

Jour de pluie

Il pleut à boire debout et il vente, mais du bon bord! L'EDF vogue à une vitesse de «croisière» d'environ 10 noeuds.
Photo collaboration spéciale Simon Boivin

Simon Boivin
Le Soleil




L'Atlantique fait le plein. Il pleut à boire debout du matin au soir. Mais on s'en fout. Il vente. Et du bon bord.
L'EDF fonctionne à voile réduite vu la force du vent, mais maintient une vitesse de «croisière» d'environ 10 noeuds. Les ajustements aux voiles ont été faits, et le pilote automatique fait maintenant tout le travail. À moins que le vent ne varie et contraigne à modifier le voilage, il garde le cap très bien tout seul. Sur Saint-Malo. Encourageant que chaque mile nautique avalé nous rapproche de la France.
À l'intérieur de la cabine, tout est plutôt tranquille. Hormis le bruit des vagues fortes qui frappent la coque et la secoue dans tous les sens. Le skipper David Augeix et l'équipier Macfarlane font la sieste, tandis que le second, Rémi Fermin, se fait une petite patience sur l'ordinateur de bord.
Ce Fermin est un marin assez incroyable. Couché dans sa bannette, dans la cabine, il diagnostique mille et un petits problèmes sur le pont rien qu'à l'oreille. Même sur une mer agitée, il bondit ici et là sur le bateau avec l'agilité d'un chat. Il tenait la barre dans du temps mauvais au large de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Alors que, de l'intérieur, l'apocalypse semblait tendre sa carte de visite, Rémi Fermin est rentré en s'exclamant : «Woa, j'ai fait 21 noeuds de vitesse! (record du EDF: 24 noeuds) Vous auriez vu les vagues, c'était trop bien!» Ça a quelque chose de rassurant. En même temps, il faut qu'il se méfie. La même soirée, une déferlante l'a surpris et projeté de la barre jusqu'aux filins arrière. Sans eux, on peut imaginer le pire.
Un grand livre ouvert
Rémi Fermin navigue depuis qu'il est né et lit dans les vagues comme dans un grand livre ouvert. À la barre, il a un petit côté Gilles Villeneuve. Faut que ça roule. Il avait son atelier de réparation de bateaux, à Nîmes, en France. Mais il s'est lassé de réparer les joujoux des autres. Rémi Fermin aimerait bien faire de la voile son seul et unique métier. La quête de commanditaires n'est pas une chose facile. Le jeune homme de 28 ans en est à sa troisième traversée de l'Atlantique rien que cette année.
Il y a autant de courses sur la transat que de bateaux qui y prennent part. De votre ordinateur personnel, vous êtes plus à même de suivre les péripéties de tout un chacun que nous à bord. On reçoit simplement quelques classements quotidiens. Déjà hâte de savoir ce qui s'est passé dans le coin de Saint-Pierre-et-Miquelon où les cartes semblent avoir été passablement redistribuées. Ça jasera course sur les quais à l'arrivée.
Paraît qu'on sera assez choyés en ce qui concerne la météo et les vents favorables d'ici la fin. Tant mieux. La traversée est tellement agréable au soleil.
L'envoi de photos est plus problématique ces jours-ci. Vu notre position plus nordique, l'angle d'accès à notre satellite est moins prononcé, ce qui faiblit le signal et ralentit l'envoi de données, explique notre skipper. Augeix a une peur bleue que le système de communication ne bloque et qu'il ne puisse plus accéder à ses précieuses informations météo...




Publié le 28 juillet 2012 à 05h00
Le «poil à gratter» d'Agde


Le second Rémi Fermin, l'équipier Jeffrey Macfarlane et le skipper David Augeix participent à la Transat sans toucher de salaire. Ils le font pour l'amour de la voile et pour se mesurer aux pros.


Simon Boivin
Le Soleil




(Québec) Dans la Transat, une majorité de marins professionnels, entièrement rémunérés et commandités, équipés de bateaux quasi neufs, font de la course leur métier. C'est à eux que le skipper David Augeix, qui course en amateur, préfère donner des sueurs froides.
Sans l'accident de la bouée, la semaine avant le départ, la commandite d'EDF Énergies Nouvelles, l'employeur d'Augeix, lui aurait permis de couvrir les frais de la Transat. Mais voilà, une fois les comptes faits, il aura à débourser de sa poche.
Il prend le départ de la transat avec son bateau âgé de cinq ans, moins performant, et sur son temps de vacances. Comme ses équipiers Rémi Fermin et Jeffrey Macfarlane, sans salaire. Au fond, à bord, le seul payé est le représentant du Soleil. «La prochaine Transat, je fais journaliste», blague le skipper.
Augeix course parce qu'il raffole de la voile. Au fond de lui-même, le résidant d'Agde, dans le Languedoc, où l'EDF est à quai dans le golfe du Lion, sait la première place pratiquement inaccessible. Mais il ne déteste pas montrer de quel bois il se chauffe.
«J'aime bien être le poil à gratter des autres» coureurs, confesse-t-il.
Voir l'EDF et ses «amateurs» leur coller aux fesses, voire les dépasser, doit donner une petite leçon d'humilité aux «pros». Même si les choses changent rapidement en course, tôt vendredi, à un moment, l'EDF se classait septième. Ceci étant, lorsqu'au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, notre bateau a rejoint l'un des meneurs - un «pro» - qui était loin devant dès le départ, la première réaction d'Augeix a plutôt été l'empathie. Quelle série de malheurs avait bien pu lui faire perdre autant de terrain? «Il doit les avoir là», fait-il, avec ses deux mains en boule à la gorge.
Terre-Neuve a disparu depuis plusieurs heures. Terminés les passages obligés, les bouées à contourner. Maintenant, premier à Saint-Malo, par le chemin jugé le plus rapide, chacun pour soi et que le meilleur gagne.
Le skipper du EDF Énergies Nouvelles opte pour une route plus au nord. «Le chemin le plus court», remarque-t-il. En raison de la rotondité de la terre, la distance à parcourir est moins longue par en haut.
Route romantique
Cette route est aussi la plus romantique pour le Français, dont les ancêtres marins venaient pêcher la morue au large de Terre-Neuve en empruntant la même voie. Mille fois moins équipés.
Comme les positions en course, les conditions météo changent sans cesse. Il y a eu du gros temps dans la nuit de jeudi à vendredi. On en a perdu une manivelle de cabestan. N'en reste plus qu'une grosse. Le bateau craquait de partout. Avant le départ, le président de la Transat nous prévenait qu'on allait passer deux semaines «dans une machine à laver». La comparaison nous est apparue extrêmement bien choisie.
Vendredi, gros soleil, ciel plein bleu. Tous en profitent pour étendre à l'extérieur des vêtements qui n'en finissent jamais de sécher dans la cabine. Mais d'autres systèmes dépressionnaires nous attendent au détour.
La traversée est la troisième de quatre étapes de la Transat, formule Augeix. D'abord le fleuve, puis le passage à Saint-Pierre-et-Miquelon, la traversée puis la Manche, dont les conditions sont réputées pas toujours faciles.
En attendant, Augeix et les équipiers du EDF ont constamment l'oeil sur l'ordinateur de bord et ses modèles météo, étudient le positionnement des autres et définissent leur stratégie d'action.
Les calculs sont constants. Aucune manoeuvre n'est épargnée pour filer le plus rapidement possible.
Il peut certes être amusant d'être le «poil à gratter» d'un autre. Mais ça se mérite.



Publié le 27 juillet 2012 à 05h00

Prochaine terre, la France



 


Simon Boivin
Le Soleil


Il arrive, au large, que de petits oiseaux égarés viennent se poser sur le bateau. Épuisés, c'est souvent pour venir y mourir.
Contourner la bouée de Percé, à 3h du matin mercredi, avait quelque chose de magique. Se faufiler entre l'île Bonaventure et le fameux rocher de nuit s'écarte beaucoup du tracé touristique habituel.
Chose faite, le cap est mis sur les îles Saint-Pierre-et-Miquelon, de l'autre côté du golfe, près de Terre-Neuve.
«From here, it's open water», lance le skipper David Augeix à Jeffrey Macfarlane. «All right», fait l'Amerloque. Quelques heures plus tard, on ne voit plus du tout la côte. Que de l'eau. Sinon que les Îles-de-la-Madeleine et l'île aux Oiseaux qui sortent la tête chacune leur tour.
Vrai que le terrain de jeu du voilier s'est considérablement agrandi. Plus de rivage ou de profondeur dont il faut se méfier. «Maintenant, dit Augeix, on peut commencer à gérer sur 24 ou 48 heures. Dans le fleuve, on a essayé de gérer aux deux heures, mais on a vite compris que ça se passait aux cinq minutes.»
La haute mer est arrivée pour Le Soleil en même temps que le mal du même nom. Une désagréable nausée alimentée par le jeu de saute-mouton avec les vagues et particulièrement forte en embuscade, c'est-à-dire à l'intérieur du bateau. Et lorsque concentré sur l'écriture. En corollaire, la régularité des textes risque encore d'en souffrir. Écrire sur le pont est meilleur pour le coeur, mais la perspective d'une vague sur le portable réduit la témérité. Assez étonnamment, le mal de mer perd son emprise pendant le sommeil.
Il est assez aisé de s'imaginer à quoi ressemble l'océan. L'eau cerne le voilier, avec des ondulations plus ou moins fortes. On peut comprendre la terreur qui habitait les marins du temps où l'on croyait la terre plate. La fin du monde est tapie derrière chaque vague.

Les rivaux à l'oeil
C'est une assiette d'eau dont le rayon visible rétrécit avec le brouillard. Mais, même en pleine purée de pois, un appareil de bord nous indique où sont les rivaux. Il s'agit d'ailleurs de la première question de quiconque revient d'une sieste. «Il est où Red, et Picoty, et Partouche, et Bleu?»
Parce que la question taraude ceux qui ont lu les premiers textes, revenons sur le système de seau qui fait office de toilette. Désolé pour ceux qui déjeunent. Donc, le tout fonctionne très bien. Le seau est demi-plein d'eau, puis le tout est jeté par-dessus bord.
Augeix charriait quand il a dit que ça se passerait sur le pont. Ça se passe à l'intérieur, et le spectacle ne fait pas courir les foules. Vous aurez compris que pour les besoins plus légers, personne à bord ne s'embarrasse d'outil intermédiaire.
L'hygiène se fait principalement avec des lingettes humides, et un shampoing à la bouteille d'eau de temps en temps. Après quatre jours à bord, il y a nécessairement une petite odeur qui a élu domicile dans la cabine. «Tu as senti? Ça commence à sentir le renard...»
Ce Augeix est une vraie machine à images.
Nous avons passé le point de non-retour en franchissant Saint-Pierre-et-Miquelon en fin de soirée. Prochaine terre, la France.





Publié le 26 juillet 2012 à 05h00 

Les voiliers au coude à coude à l'approche de l'océan




(Québec) Sur le point de sortir du golfe Saint-Laurent, mercredi, les participants à la Transat Québec-Saint-Malo entreprennent jeudi la grande traversée de l'Atlantique après une journée où chaque position était âprement disputée.
En début de soirée, mercredi, seulement deux petits milles nautiques séparaient le meneur de la Class40, le skipper allemand Joerg Riechers (Mare), de la seconde position détenue par Fabrice Amedeo et Armel Tripon (Geodis). Quelque 32 milles nautiques (60 km) séparaient la 1re de la 10e position.
Filant à une allure moyenne de 8 à 10 noeuds, plusieurs des 20 voiliers de cette classe se sont échangé les positions en cours de journée. Le skipper David Augeix (EDF Énergies Nouvelles), que le journaliste du Soleil Simon Boivin accompagne, se situait en 11e place à 37 milles nautiques de la position de tête. Un peu plus loin (15e), se retrouvait le Bleu, du Québécois Eric Tabardel. Le seul autre skipper du Québec en Class40, Robert Patenaude (Persévérance), fermait la marche, au 20e rang.
En début de soirée, seul le FenêtréA Cardinal 3 d'Erwan Leroux avait atteint les îles Saint-Pierre-et-Miquelon, dernière approche terrestre avant le grand bleu océanique. Il était toujours bien en selle dans la catégorie Open à 101 milles nautiques de son plus proche rival. Le skipper lévisien Georges Leblanc à bord de l'Océan Phénix fermait la marche de l'Open à 211 milles nautiques du meneur.
Mardi soir, le Class40 Partouche du skipper Christophe Coatnoan a dû faire escale à Gaspé à la suite de la rupture d'une ferrure sur le bout-dehors du voilier. Sur place, un soudeur professionnel attendait le bateau pour la réparation. L'équipage reprenait la course vers 1h dans la nuit de mardi à mercredi, rattrapant rapidement son retard. Il pointait mercredi soir en 14e position.




Publié le 25 juillet 2012 à 05h00 

Un spi la nuit



Simon Boivin
Le Soleil

Dans la nuit de lundi, Le Soleil a été interdit de pont sur l'EDF Énergies nouvelles. Excellente décision. Mère Nature était d'une humeur à garder les marins d'eau douce à l'intérieur.
À 22h45, mardi
Infographie Le Soleil
Près de la bouée de Matane, en pleine noirceur, un coude à coude spectaculaire s'est enclenché entre le bateau de David Augeix et quatre voiliers proches concurrents.
Des éclairs rouges déchiraient le ciel pendant que l'équipage, fouetté au visage par les embruns, se démenait pour tenir tête à ses poursuivants. La journée, qui s'était empêtrée dans une pétole (absence totale de vent) tenace, cédait sa place à une nuit agitée.
La première nuit à bord avait été plutôt agréable. Fraîche et tranquille, sur un fleuve assez calme, éclairé par les villages côtiers et les étoiles. Le feu de hune, une lumière fixée au mât pour observer les réglages des voiles, offre une clarté enveloppante au bateau. Le sommeil a été difficile à trouver entre les quarts d'une heure trente, mais pas à cause des sacs de voile qui ont fait office de couchette. L'excitation du départ.
Un avant-goût de l'océan
La seconde nuit, par contre, a donné un avant-goût de l'océan. Claustrophobe s'abstenir. L'une des ailes arrière de la cabine, où s'entassaient bagages et équipements en contrepoids, a servi de caisse de résonance au remue-ménage du pont. Le bruit des vagues qui cognent, de l'eau qui défile juste en dessous, des cordes qui claquent sur le mât, des poulies qui tapent, des manivelles qui s'actionnent et des équipiers qui s'époumonent forment un vacarme incessant. Mais qui finit par faire partie du paysage. Et auquel on s'habitue.
Mention honorable au spinnaker, le «spi», la voile la plus large du bateau, utilisée en situation de vent de dos, dont le confort a étonné. Sa capacité à épouser les formes du corps a beaucoup à voir avec les quelques heures de sommeil arrachées au boucan de la nuit. Un gros pouf. On surveillera sa disponibilité.
Cinq changements majeurs aux voiles pendant la nuit, sous de gros vents. L'équipage a travaillé en forcené, parfois harnaché au bateau. À tour de rôle, un membre venait se coucher à l'arrière pendant que les deux autres gardaient le fort. «On aurait pu mettre le plus petit réglage tout de suite, remarque le skipper Augeix. Mais là, ça voudrait dire qu'on fait de la croisière. Pas de la course.»
Peu importe qui dort, l'heure du jour ou de la nuit, quand Augeix frappe trois coups, tout le monde se précipite immédiatement sur le pont. C'est le signal.
Au matin, au large des côtes gaspésiennes surplombées par des éoliennes, après une nuit de bataille, quelques voiliers avaient distancé l'EDF. Un autre trou d'air, archipluvieux tout l'avant-midi, leur a permis de disparaître de notre horizon.
Quiconque doute du côté sportif de la voile n'a jamais pris un départ. Sortir les voiles, tirer les cordes, faire les manoeuvres, décrocher ce qui coince immanquablement, toujours en maintenant son équilibre sur la mer houleuse. Au-delà de la forme physique, la discipline étonne par la quantité de connaissances mécaniques, électriques, nautiques et géographiques qu'elle requiert.




Publié le 24 juillet 2012 à 05h00 

Les rois de la pétole

 

Pile dedans. En pleine pétole. Pas un souffle. Les instruments qui boudent : zéro vent, zéro vitesse. Fichtre, on dirait même qu'on recule. Faut sortir l'ancre.
Mettre un voilier de course à l'ancre équivaut à placer un sabot de Denver à une Formule 1 sur la ligne de départ. Il a pourtant presque fallu s'y résoudre, lundi. Elle était sortie sur le pont, en train d'être assemblée. Un léger frisson dans la voile a repoussé la pire option après le recul ou l'accident : l'immobilisme.
Le vent a faibli une bonne partie de la nuit de dimanche. Il a fallu travailler sur les meilleurs réglages, changer de voile, pour ensuite remettre celle qu'on venait d'enlever...
À l'aurore, au large du parc du Bic, près de Rimouski, les dernières traces d'une fine brume finissaient de s'envoler. Le fleuve a enfilé ses habits de lac pépère. Juste pour garder le cap, le skipper David Augeix devait ramer avec le gouvernail. Un voilier de la transat a pointé un bon moment en sens inverse, vers Québec, la coque refusant d'obéir à la barre. Hormis ceux qui sont loin devant, tout le monde est dans la même galère. Voiles vides. Fiers et puissants, ces engins ont la binette basse quand le vent ne veut pas sortir pour jouer.
«Chez nous, on dit que le baston [gros temps], c'est le diable, et que la pétole, c'est sa femme», raconte le skipper Augeix. La femme du diable a donc planifié une partie de ses vacances sur le Saint-Laurent.
Il faut lui reconnaître que c'est particulièrement beau. Lundi, une baleine et quelques phoques sont passés saluer l'EDF.
Apprendre la patience
Lors d'une course entre la France continentale et la Corse, Rémi Fermin, second à bord, s'est buté à trois jours de pétole au retour, alors que l'aller n'avait pris que 24 heures. «La voile, ça apprend la patience, partage-t-il. J'avais tendance à m'énerver facilement avant. Ça m'a bien calmé.»
La voile, c'est aussi le jeu. Il faut parfois courir des risques. Augeix estime avoir joué deux pokers depuis samedi avec son choix de trajectoire. Un qu'il a gagné, avant La Malbaie, et un qu'il a perdu, plus tard dans la nuit. Au total, on a reculé de quelques positions, mais les autres restent à distance de vue. Encore plusieurs pokers avant Saint-Malo.
Il faut «trouver l'air», qui ne tardera pas, et se parer contre la frustration ultime : en manquer quand les autres en ont.
Recharger les batteries
«Il y a quand même des choses qui se font mieux sans vent», constate malgré tout Augeix. Il vient de passer une demi-heure acroupi à tripatouiller son électricité de bord parce que la recharge de notre ordinateur, malgré un test préalable concluant, faisait sauter un disjoncteur. Agaçant parce que cela rendait la recharge impossible. Et que le portable de secours, que notre patron nous a enjoint d'amener à bord «au cas où», est resté à la maison. Sacrifié au nom de la légèreté. Mais ça va, là. Tout est beau. Pas besoin de l'inquiéter avec ça.



Publié le 23 juillet 2012 à 05h00 

 

Dans le peloton de tête







Notre journaliste Simon Boivin prend part à la Transat Québec-Saint-Malo à titre d'équipier à bord du EDF Énergies Nouvelles. Il raconte les péripéties de sa traversée de l'Atlantique chaque jour dans Le Soleil et sur lesoleil.com.
Photo Le Soleil, Patrice Laroche


Simon Boivin
Le Soleil


(Québec) Ils sont «sport», tout de même, ces Français. Si vous leur faites rater une manoeuvre, ils vous le diront comme ils le pensent. Mais si c'est leur faute, ils l'admettront sans peine.
La veille du départ, le skipper David Augeix a prévenu. Les ordres viennent, ils sont directs et impliquent une réaction immédiate. Rien de personnel, absolument, mais «ça peut être sec». Des situations nécessitent une prise en charge urgente afin de ne pas dégénérer. «Vite, vite, vite». Et c'est bon pour tout le monde.
«Pour moi, en mer, "putain" et "con", ce ne sont pas des mots, c'est de la ponctuation», blaguait le marin la veille du départ.
Chassé-croisé
Après l'épisode de la bouée frappée il y a une dizaine de jours, Augeix a opté pour la prudence, hier, lors du départ de la transat. Pas question de jouer du coude pour sa position et risquer d'endommager encore la bête. Reste que le EDF Énergies nouvelles a drôlement tiré son épingle du chassé-croisé initial où les voiliers se frôlent au point où les skippers s'interpellent les uns les autres. Le bateau a passé l'ensemble de la journée au sein du peloton de tête.
Clairement, les gars savent ce qu'ils font. Ils choisissent leur route en fonction de leur propre évaluation, quitte à faire cavalier seul - ou presque - d'un côté du Saint-Laurent. «Insiste plus pour me le dire quand tu penses que je fais une connerie», demande Augeix à son second, Rémi Fermin, qui a compris avant lui une situation.
Partout autour, les autres. Ceux qui nous pourchassent. Ceux que nous poursuivons. Les écarts se creusent, puis se rétrécissent. Chaque manoeuvre est épiée, décortiquées, pour tenter de deviner les stratégies des autres.
Comme les autres 40 pieds de course, le EDF est gréé d'une multitude de poulies, auxquelles sont reliées des cordes de différentes couleurs, elles-mêmes enroulées ici et là autour d'équipements de traction, de voiles ou autres pièces du bateau. Les deux semaines de la traversée suffiront peut-être à se familiariser avec l'ensemble des mécanismes.
En attendant, l'impression d'être parfois un encombrement pour un équipage expert - et qui n'en tient pas rigueur - est difficile à dissiper.

Manoeuvres nombreuses
Le passage en eaux charlevoisiennes a été particulièrement prenant. Gros vent de dos, manoeuvres nombreuses et des profondeurs parfois inquiétantes pour un bateau dont la quille mesure trois mètres. Rémi entre aux deux minutes vérifier si «ça passe» sur la carte de navigation, et demande quelques fois l'imprimatur du skipper. «C'est fou d'aller aussi vite avec si peu de profondeur», a remarqué Rémi. On frôlait les 18 noeuds (multiplié à peu près par deux pour les km/h) avec sept mètres au profondimètre.
Les manoeuvres de navigation ont gardé l'équipage occupé tout l'après midi. Il était loin, le déjeuner, lorsque vers 17h30, il a été possible de prendre une bouchée. Le segment le plus difficile du Saint-Laurent est derrière nous.
Outre le réglage des voiles, une partie du travail consiste à répartir le poids du matériel à l'intérieur du bateau afin de favoriser son équilibre en fonction du vent. La tâche est laborieuse puisque toujours à refaire. Mais l'impact sur la rapidité est surprenant. Impressionnant quand même d'atteindre La Malbaie en sept heures de voile seulement.
La nuit risque d'être longue. Déjà, le vent s'est beaucoup calmé. Les voiles ballotent. Il faudra manoeuvrer pas mal pour tirer le meilleur de la situation. «C'est pas facile, la pétole», laisse tomber Augeix. Les 15 ou 20 minutes de sommeil seront grappillées à gauche à droite.





Publié le 22 juillet 2012 à 05h00 

La course et rien d'autre




L'équipe de la transat Québec-Saint-Malo sur le EDF Énergies nouvelles : notre journaliste Simon Boivin, Rémi Fermin, le skipper David Augeix et Jeffrey MacFarlane
Photo Le Soleil, Pascal Ratthé


Simon Boivin
Le Soleil


(Québec) «Et ça, c'est la toilette». Le skipper du EDF Énergies nouvelles, David Augeix, désigne la cuvette qu'absolument rien n'isole du reste la cabine. «Mais elle est cassée. Alors ce n'est pas ça qu'on va utiliser.»
Augeix est seul maître à bord après Dieu. Sa bouille sympathique et son accent du Midi adoucissent l'évocation de certaines conditions spartiates de la traversée.
Comme cette nécessité d'utiliser des seaux en lieu et place, et sur le pont par-dessus le marché! Bon, allez, on est les quatre dans le même bateau. Ce sera à classer au rang des expériences humaines. Juste le souhait qu'on ne serrera pas la côte de trop près.
«Parfois la nuit, tu dormiras avec les pieds attachés.» Pardon? À l'intérieur d'un voilier qui traverse l'Atlantique? «Oui, c'est parce que, parfois, le coup que ça donne quand la coque frappe une vague, ça peut t'éjecter de la bannette». Nous prendrons donc le forfait «dodo avec les pieds sanglés».
Une chose frappe quiconque a fait un peu de voile de plaisance en pénétrant la cabine d'un bateau de course comme l'EDF Énergies nouvelles. Le confort a été totalement sacrifié sur l'autel de la performance. Pas le moindre coussin. Que de la fibre de verre. Ici, on ne se prélasse pas. Ici, on course. Dans un 40 pieds qui a du chien. Pas le plus neuf, mais dont le côté «vintage» ajoute à la personnalité.
«Là, tu as la cuisine». Le skipper Augeix pointe la bouilloire accrochée au-dessus du poste de contrôle avec ordinateur. Épaulée par un autre petit brûleur au gaz, elle réchauffera l'eau pour les soupes, les sacs de nourriture lyophilisée et le cannage stocké.
L'obsession du poids
L'obsession du poids du bateau est constante. Il faut voyager léger pour être rapide. Le skipper va jusqu'à demander si on pourrait se délester du minuscule feuillet d'instructions de notre caméra-vidéo. Alors on repassera pour le Larousse. «Si on fait tout bien, on peut s'enlever jusqu'à cinq kilos», qu'il dit. Certains équipages vont jusqu'à tronquer la moitié du manche de leurs brosses à dents pour gagner en légèreté. Fou de même.
Les bannettes, deux couchettes installées chacune de leur côté à l'arrière de la cabine, servent aussi à déposer les voiles. S'il y a une voile, on dort par-dessus. Mouillée ou pas. Les bannettes sont fixées d'un bord, et attachées de l'autres, de manière à pouvoir les ajuster selon l'inclinaison du bateau en mer.
«Ceci étant, on ne connaît pas de marin masochiste», écrivait Augeix au Soleil lors d'un premier échange de courriels dans lequel il prévenait du «confort sommaire» à bord. «Si nous le faisons, c'est que les moments d'extase, rares dans nos sociétés, sont nombreux dans une traversée... Surtout en course.»
Bouée frappée
Augeix a fait honneur au côté «irréductible gaulois» de son nom de famille la semaine dernière, après l'épisode de la bouée frappée à l'Anse-au-Foulon. Le genre de «connerie» qui lui a sans aucun doute valu des railleries dans chaque marina du Saint-Laurent. Après une nuit au téléphone et les pièces brisées en commande, Augeix, loin de se cacher, a suggéré lui-même de suivre la course contre la montre des travaux du EDF. «Je me suis dit que c'est le genre d'histoire à la con qui plairait aux journalistes», confesse-t-il.
La réparation de coque percée et du safran pulvérisé (une partie du gouvernail) n'aurait pu se faire sans le second à bord, Rémi Fermin. Le benjamin de l'équipage, à 28 ans, a déjà investi deux ans à construire son propre bateau. À partir de zéro. Il s'est éreinté de longues heures à tout remettre en ordre sur l'EDF. Rémi en a sablé un coup. «Du travail bien fait», a salué Michel, propriétaire de l'atelier situé sur les terrains du port, derrière la Bunge. Le marin connaît aussi le bateau comme le fond de sa poche. C'est lui qui l'a convoyé de la France jusqu'au Québec pour la transat Québec-St-Malo. Fermin sait tout faire, et il est d'un calme imperturbable. Il a traversé l'océan sur des bateaux moitié moins gros.
L'incident de la bouée a de toute évidence entraîné le remplacement d'un équipier. Augeix a parlé d'incompatibilité «caractérielle». Ce qui mène à l'arrivée de Jeffrey Macfarlane, 30 ans, du New Jersey, qui a sauté dans sa voiture dès qu'Augeix l'a appelé pour faire la transat. Solide gaillard, il ne parle pas la langue de Molière, mais celle de la mer, comme les deux Français. Il a saisi le fonctionnement du bateau en un tournemain. L'anglais fonctionnel de ses équipiers suffit à se comprendre. Il n'en est pas, lui non plus, à sa première traversée. L'adhésion du Yankee ajoute une saveur plus onusienne à l'équipage original des «gars de la Méditerranée».
Si un mal de mer insoutenable devait terrasser le journaliste à bord, le skipper Augeix offre une sortie de secours avant le point de non retour. Sans rire. «Moi, je ne m'arrête pas. Mais, en passant près de Saint-Pierre-et-Miquelon, on peut faire venir un zodiac. Tu enfiles ta combinaison de survie avec ton portable à l'intérieur, et tu sautes à l'eau. Le zodiac te récupèrera.» En voilà une autre perspective séduisante...



Publié le 22 juillet 2012 à 05h00

Les prédictions météo de Madame Irma


Simon Boivin
Le Soleil


(Québec) Attablés face à leurs portables, les gars du EDF Énergies Nouvelles froncent les sourcils. Rarement parler de la pluie et du beau temps aura été aussi sérieux.

Une fois le moteur coupé, aujourd'hui, les voiliers de la transat ne s'en serviront plus pour se propulser avant 5365 km. Sur les quais de Saint-Malo, la gloire tend déjà les bras au meilleur à flairer le vent.
Depuis la France, la voix de Nicolas, un ami du skipper David Augeix, résonne via Skype dans la cuisine d'une jolie maison louée, avenue De Salaberry. «Plus je regarde les cartes, plus ça se complique, dit-il. Il y a une zone perturbée.»
Notre skipper admire et respecte les capacités d'analyse météo de Nicolas. Il nous demande de taire son nom de famille. Peut-être peur qu'on lui pique. Hier soir aura été la dernière de trois séances d'entretien avec lui. En mer, terminé. Plus d'aide de l'extérieur. Faudra se débrouiller avec l'information publique disponible à tous.
Avoir Colette Provencher à bord ne serait d'aucun intérêt particulier. La force de Nicolas, c'est qu'il est aussi un coureur. Il lit les cartes avec l'oeil du gars qui navigue. «À partir là, faudra penser à relever la barre», conseille-t-il à un moment.
Les marins tentent de leur mieux de réconcilier trois modèles météo et leurs prédictions divergentes. Ils prévoient les impacts sur la course presque heure après heure dans le fleuve, dans le golfe, au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, puis en haute mer.
Relations avec les dépressions
Au bout de quelques jours, les prévisions météorologiques ne valent pas cher la livre. «Ça devient les prédictions de Madame Irma», la diseuse de bonne aventure, rigole Nicolas, de l'autre côté de l'océan.
En gros, la traversée s'organisera autour d'un phénomène principal avec lequel les skippers entretiennent une relation amour-haine : les dépressions. L'immense tourbillon de vent engendré dans une zone où la pression atmosphérique diminue se déplace lui-même sur l'océan. Les marins voudront à tout prix profiter de ses vents, mais éviter son milieu. Au centre d'une dépression, pas la moindre brise. La pétole la plus complète. Mer d'huile. Panne sèche. Pour des milles et des milles. «C'est comme le vide au centre du tourbillon d'eau qui évacue une baignoire», illustre David Augeix.
Les coureurs devront prendre la ou les dépressions comme on prend un train. Au bon moment. Trop tôt, il faudra l'attendre. Trop tard, on l'aura manqué. Et savoir quand embarquer et quand en débarquer parce que sa course nous éloigne trop de notre trajectoire.
«Une grosse partie de la course va se jouer dans le Saint-Laurent», prévient Rémi Fermin, notre second à bord. Un écart 10 ou 20 milles nautiques à l'embouchure peut aisément devenir 100 ou 150 milles au fil d'arrivée. Surtout si l'avance permet de profiter de conditions favorables face à la dépression. Les deux premiers jours seront cruciaux.
Peu habitués au Saint-Laurent, nos coureurs devront tirer le meilleur du courant favorable à marée basse, et ne pas être surpris par le montant. Aussi, les reliefs du paysage, plus ou moins montagneux, feront dévier le vent qui se jouera sournoisement des skippers. Des décisions rapides à la chaîne. Action réaction. Jour et nuit.
En pareilles circonstances, il ne faut pas se surprendre si les bateaux s'espionnent les uns les autres. Soit pour se rassurer sur leur propre ligne ou pour envier le gonflement des voiles d'un autre et tenter de l'imiter.
Pas question d'admettre que, vu son âge par rapport à la flotte, l'EDF Énergies Nouvelles a très peu de chances de l'emporter. Terminer parmi les cinq premiers relèverait déjà de l'exploit. Même untop 10 serait remarquable pour le bateau construit en 2007. Les gars ne veulent rien entendre. On vous l'a dit, c'est un équipage français.
«Ce sera aux autres à se positionner par rapport à nous», fronde avec un large sourire notre skipper.
* Le commanditaire du voilier de David Augeix, Électricité de France (EDF) Énergies Nouvelles, prend à sa charge les frais de la traversée du Soleil, exception faite de l'équipement et du retour.



Publié le 15 juillet 2012 à 05h00

Transat: «des gens sympas» à la rescousse de David Augeix

 

 



Rémi Fermin (à gauche) affiche une mine déconfite alors que le skipper David Augeix appelle en France pour commander en «expédition urgentissime» par avion la pièce brisée, plus tôt cette semaine.
Photo Le Soleil, Yan Doublet



Ian Bussières
Le Soleil

(Québec) «Merci, les Québécois! Vous n'avez pas des bouées très sympas, mais vous avez des gens sympas par contre», a lancé samedi le skipper français David Augeix, deux jours après que son bateau, le EDF Énergies Nouvelles, ait été endommagé à la suite d'une collision avec une bouée lors d'une régate amicale sur le Saint-Laurent.
Le skipper n'avait que de bons mots pour les gens du Port de Québec, de l'organisation de Gestev et même quelques-uns de ses adversaires qui lui ont donné un fier coup de main depuis l'avarie afin de l'aider à remettre son voilier à point à temps pour le grand départ de dimanche prochain.
«Serge Drouin de chez Gestev m'a trouvé une grue et le responsable technique du port de Québec m'a amené l'électricité», expliquait-il pendant que Rémi Fermin réparait la coque du navire, présentement en cale sèche. «En raison de la marée, nous avons dû gruter le bateau dans la rivière Saint-Charles», fait-il remarquer.
Impact localisé
«Il reste deux ou trois jours de travail sur la coque. Luc Forcier, du voilier Sacremouille, et Éric Tabardel, du Bleu, m'ont aidé en me fournissant les matériaux spéciaux dont j'avais besoin», souligne M. Augeix. Heureusement pour l'équipage du EDF Énergies Nouvelles, l'impact est demeuré localisé sur un mètre par 50 centimètres et ne s'est pas répandu à toute la coque.
Quant au safran (la partie immergée du gouvernail) et au palier de safran que le navire a cassés dans l'accident, l'équipe originaire du Languedoc-Roussillon les attend au cours des prochaines heures.
«Dans la nuit de jeudi à vendredi, je suis resté en ligne avec les chantiers français et les fournisseurs d'équipement. J'ai trouvé un palier de safran qui doit m'être livré demain (dimanche) et un safran que je devrais recevoir lundi. Il y aura ensuite du travail à faire sur ces pièces et, si les délais sont respectés, tout devrait être prêt mercredi ou jeudi», commente le capitaine.

«Et il s'agira de réparations permanentes. On pensait au départ faire une réparation provisoire, mais en connaissant l'ampleur réelle des dégâts et avec les matériaux de qualité fournis par Tabardel et Forcier, ça devrait bien aller. Heureusement que nous avons Rémi, dont la spécialité est justement la préparation et la réparation des voiliers de course. C'est pratique lors d'un pépin pareil», conclut-il.




Transat Québec-Saint-Malo: une équipe fait un accident lors d'une régate amicale






(Québec) «Tant que tu ne m'entends pas crier, ça va bien. Mais si je crie, c'est que ça ne va pas.»
Le capitaine David Augeix a crié, jeudi, et sa participation à la Transat Québec-Saint-Malo est maintenant menacée.
Le Soleil était à bord de son bateau quand ce dernier est allé heurter une bouée d'acier à la hauteur de l'Anse au Foulon. Ce qui devait être une simple régate amicale en compagnie des médias, 10 jours avant la fameuse course de voiliers, a finalement pris une tournure aussi dramatique qu'inattendue pour les trois membres de l'équipe EDF Énergies Nouvelles.
«Rechoque, rechoque, rechoque! Je t'ai dit de rechoquer! Bordel!» s'est époumoné le skipper, juché à la barre de son voilier. Trop tard. La coque venait de frapper la bouée peinte en rouge, en plein milieu du fleuve Saint-Laurent. Un deuxième impact et le safran à bâbord, qui oriente le navire dans l'eau, a éclaté en mille morceaux.
«Ah non, putain, les mecs! Pas ça! Pas maintenant!»
Pas besoin d'avoir le pied marin pour comprendre que ce qui venait de se produire était grave. Sans perdre une minute, l'équipage appelle à l'aide en faisant signe à un autre bateau. «On vient de perdre un safran. Allez nous le chercher, là, près de la bouée.»
Déconcertés par la tournure des événements, les trois invités à bord ont observé en silence David, Renaud et Rémi tenter de reprendre la situation en main. Un coup de fil rapide en France nous apprend qu'une «expédition urgentissime» par avion sera nécessaire pour remplacer la pièce brisée. Le skipper informe également son interlocuteur outre-mer qu'il n'y a pas de danger puisqu'on ne prend pas l'eau. Pas de panique, alors!
Les six occupants retournent donc au quai plus vite que prévu, la mine toute déconfite. «Ça ne devait pas arriver. C'est des conneries de débutants», rage le capitaine. Plutôt posé malgré le malheur qui venait de le frapper, il trouve toutefois le moyen de voir du positif dans toute cette mésaventure.
«On était fin prêt pour le départ. On n'avait plus rien à faire sur le bateau. Alors là, au moins, il y aura du boulot. On ne s'ennuiera pas.»
Si tout va bien...
Si tout va bien aux douanes, l'équipe originaire du Languedoc-Roussillon, qui arbore le numéro 45, devrait recevoir sa nouvelle pièce vers le milieu de la semaine prochaine. Elle devrait ainsi pouvoir prendre le départ comme prévu le 22 juillet, aux côtés de 25 autres embarcations à voiles.
Mais chaque minute compte. D'ici là, il faudra lever le bateau de l'eau pour entamer les réparations sur la coque. Il ne s'agit pas que d'un travail esthétique. L'impact a été si fort que la structure est renfoncée, laissant paraître de grandes fissures à l'intérieur, ce qui mine la solidité du bateau.
«On a été tous les trois fautifs. Je les ai avertis trop tard, ils ont réagi trop tard. Ça ne m'est jamais arrivé d'abîmer un bateau. C'est vraiment des bêtises», conclut David Augeix, qui compte déjà trois traversées de l'océan Atlantique à son actif.
Accident possible en mer
Un accident comme celui dont Le Soleil a été témoin pourrait également se produire en haute mer, même si les chances sont plutôt minces étant donné l'expérience des marins.
«Des obstacles en mer, il y en a. Il y a des conteneurs, des baleines. Ça peut arriver», affirme Rémi Fermin, membre de l'équipage de l'EDF Énergies Nouvelles. Celui-ci gagne justement sa vie en réparant des bateaux de course.
«Moi, ce que je pense qu'il faudra faire, c'est une réparation provisoire. Solide, mais provisoire. La réparation définitive se fera de retour en France», dit-il, regrettant le manque de concentration des trois équipiers. «Si c'était arrivé au large, on aurait été bien embêtés. Il aurait fallu faire une réparation par l'extérieur, ce qui implique de faire pencher le bateau sur le côté pour mettre du scotch.»Un tout petit peu d'eau s'est infiltrée à travers la crevasse. «Ça aurait pu être beaucoup plus grave que ça», convient le matelot.